Découverte
C'est l'enclave où ont été retrouvés les débris de l'avion de la Kenya Airways qui s'est écrasé dans la nuit du 4 au 5 mai 2007. Depuis lors, le village est sorti de l'anonymat. Mbanga Pongo, une célébrité maculée de sangSociété/Cadre de vie C'est l'enclave où ont été retrouvés les débris de l'avion de la Kenya Airways qui s'est écrasé dans la nuit du 4 au 5 mai 2007. Depuis lors, le village est sorti de l'anonymat.
1- Au commencement, une terre de cocotiers
Mbanga Pongo est une appellation savante de la civilisation bantoue. Il y a quinze ans, le village était encore appelé Mbanga ma Pongo. Traduction : " Le territoire des cocotiers ". Ici, règne Sa Majesté Abate Melinga. Historiquement, la localité est une pêcherie où dominent les cocotiers. Une savane sablonneuse rivalise avec une forêt essentiellement faite de palmiers. Dans les années 70-80, les pêcheurs de retour de leur labeur s'y réfugiaient pour se reposer ou pour fumer du poisson. Les dernières levées topographiques (2007) des services du cadastre évaluent la superficie de l'enclave de Mbanga Pongo à près de 450 ha. Cette clairière jouxte le quartier Boko dirigé par le chef supérieur de 3ème degré, Sa Majesté Kamdem.
Mbanga Pongo a fait l'objet de plusieurs conflits fonciers. Les communautés Bonapriso, Bonadiwoto et Bonaloka, se disputent cette parcelle de terrain. Chacune d'elles affirme que cet espace appartient à l'un de ses ascendants. Les trois communautés ont, toutefois, en commun des liens ancestraux plus ou moins éloignés. Des liens plus ancrés encore entre les Bonadiwota et les Bonaloka. Deux communautés villageoises voisines séparées par l'axe lourd Douala-Yaoundé à partir de la station-service Texaco de l'aéroport. Ces deux derniers villages font partie des vingt-trois (23) villages que compte le canton Bassa de Douala. Certaines personnes ayant profité de cet imbroglio, se sont installées illégalement à Mbanga Pongo. Malgré l'interdiction des autorités administratives et sans autorisation des populations autochtones. Ce qui explique ces conflits généralement aux allures de batailles épiques. Dans le but de s'arroger les droits de propriété des lieux, la communauté Bonadiwota y a érigé en 1999 une stèle de huit mètres en mémoire de leur mère. Elle a été détruite par la suite sur intervention du procureur de la République.
Après un conciliabule sous la conduite des autorités administratives, les chefs des trois communautés ont fumé le calumet de la paix. Leurs Majestés Ebongue Pako Gamalien de Bonadiwota, Wea Toutou Jean Jacques de Bonaloka, et N'thepe Mahouvé de Bonapriso, malgré les divergences de leurs administrés ont réparti cette enclave. L'autorité administrative compétente a procédé au lotissement d'une partie de cette étendue de terre. Des trois parcelles découpées, seule celle revenant aux Bonaloka a obtenu une immatriculation des services compétents. Les procédures d'immatriculation des parcelles des villages Bonadiwota et Bonapriso sur ce territoire sont encore en cours. Au moment où survient le crash, les travaux de lotissement étaient en marche avec le traçage des voies dans cette mangrove.
2- Une enclave marécageuse
Pour atteindre Mbanga Pongo, il faut traverser les villages Bonadiwoto et Bonaloka à la sortie de Douala au lieu dit " Borne 10 ", en allant vers Edéa. Dès le village Boko, trois entrées principales s'offrent à vous. Mbanga Pongo se trouve à près de cinq kilomètres sur l'une des voies impraticables, ouverte par Petit Jean, un expatrié qui y exploitait du sable. On traverse progressivement le carrefour St. Tropez, le bloc Songa Boko, le carrefour " Petit Robert ", avant d'atteindre l'école primaire la Moisson. C'est la limite entre Boko et Mbanga Pongo.
Le contraste est vite fait entre Boko et Mbanga Pongo. Le premier à une habitation importante de près de 5 000 hommes. Le second, avec environ 1 000 âmes, est encore désert. L'habitation y est encore dispersée. La zone marécageuse est constituée de marais et d'un sol boueux ; d'une savane sablonneuse et d'une forêt des palmiers dans les tourbières du littoral appelée mangrove. Une terre favorable à l'agriculture de subsistance, l'élevage, la pêche et à l'activité artisanale de carrière. On y cultive du manioc, des pistaches, de l'arachide, du maïs, du taro, du soja, du haricot. Le plantain n'y donne que la 1ère et la 2ème année. La chasse par pièges est très prisée. On y attrape varans, porcs-épics, antilopes, etc. L'enclave de Mbanga Pongo est entourée par les affluents du fleuve Wouri que sont la Boko, la Dibamba et la Kambo. Autour de Kambo, habite une importante communauté de Nigérians, spécialisés dans la pêche. C'est à quatre kilomètres de marche dans la mangrove à partir du lieu du crash. D'autres y accèdent par pirogue à moteur.
3- Rêves d'or
La localité de Mbanga Pongo est devenue depuis le 7 mai un lieu de pèlerinage. Contre son gré, et maculée de sang, cette enclave est entrée dans la légende. Evidemment, elle sera tristement célèbre dans les anales de l'aviation internationale. C'est dans cette mangrove qu'a été découverte par un chasseur, l'épave du Boeing 737-800 de la compagnie aérienne Kenya Airways qui s'est crashé le 5 mai peu après son décollage de l'Aéroport international de Douala. Les 114 occupants à son bord dont 35 Camerounais y ont péri.
Mais, ne dit-on pas qu'à quelque chose malheur est bon ? L'accident du Boeing 737-800 de Kenya Airways a permis de sortir Mbanga Pongo de l'anonymat. " Il y a des événements qui profitent aux populations d'une localité ", a confessé Bernard Atébédé, préfet du Wouri. " Comme les autorités sont venues ici, je pense que ça va changer ", rêve Frédéric Tchameni, marié et père de trois enfants. Outre la route, Mbanga Pongo a besoin d'infrastructures sociales. Le village compte deux écoles primaires privées. Aucune école primaire ni maternelle publiques. Aucun centre de santé. Pas d'eau potable. Les populations se ravitaillent aux puits indigènes. Pas d'électricité. Elles s'éclairent aux lampes-tempête et aux lampes-torches. Et pourtant, Mbanga Pongo dépend administrativement de l'arrondissement de Douala III. Sur le plan de la sécurité, le village dépend de la brigade de gendarmerie de Yassa. Comme Frédéric Tchameni, Evariste Onana, marié père de trois enfants et d'un petit-fils, s'y est accommodé. " Depuis que je suis ici, nous sommes à l'aise. Nous n'allons en ville que pour nous ravitailler en sel, riz, poisson, savon, etc. ", soutient Evariste Onana.
N'empêche. Les populations de Mbanga Pongo nourrissent désormais un rêve. Le développement de la localité est de toutes les conversations. Mais déjà, l'on note les premières déceptions. Les travaux de réfection de la route principale engagés à l'occasion de l'arrivée du Premier ministre, Inoni Ephraim, à Mbanga Pongo pour le deuil national en hommage aux victimes du crash aérien du 5 mai, auraient dû être un déclencheur pour des travaux durables. Hélas ! La Communauté urbaine de Douala, Razel et la China road and bridge corporation (Crbc) réquisitionnés pour la tâche, sont restés dans le définitivement provisoire. " C'est une déception vraiment. Je pensais que le gouvernement devait nous doter d'une route digne de ce nom. Mais j'ai l'impression qu'on a fait ces travaux pour permettre aux autorités de venir au deuil national ", se plaint Frédéric Tchameni. Pour les habitants de Mbanga Pongo, c'est un rêve brisé. " La manière dont les travaux de réfection de la route se sont passés nous indique que nous ne devons rien attendre encore. Et pourtant, le site du drame aurait pu devenir un haut lieu de pèlerinage pour des millions de personnes partant des 25 pays dont appartiennent les victimes du vol KQ 507 de Kenya Airvways ", poursuit-il. Les familles éplorées et plusieurs personnes avisées réclament déjà de la part des autorités compétentes, la construction d'un sanctuaire où les membres des familles ou toutes les autres personnes compatissantes pourraient se recueillir.
4- Voir Mbanga Pongo et mourir de compassion
Depuis la découverte du lieu du drame, " Papa Samuel " subit des railleries à Mbanga Pongo. On lui reproche d'avoir découvert l'épave du Boeing 737-800 de Kenya Airways et de n'avoir pas pillé les corps avant de donner l'alerte. Mieux, de n'avoir pas informé aussitôt les populations pour qu'elles se mettent plein les poches. Selon des témoignages concordants, c'est lui qui aurait fait la découverte macabre le 6 mai, alors qu'il allait couper des branchages de raphia dans la mangrove. Il a l'habitude de les vendre au carrefour Anatole à Douala (non loin du marché central) aux femmes spécialisées dans la fabrication des bâtons de manioc. A la sortie de sa cueillette, le quinquagénaire, originaire de l'Ouest, transporte ses fagots de bambous dans son porte-tout. C'est alors qu'il rencontre son congénère Eboma, un chasseur originaire de l'Est et habitant Boko. Il l'informe de la situation. Ce dernier saisit les autorités compétentes à travers le capitaine Yelami.
La nouvelle ne semble pas courir. Le village est paisible jusqu'à la tombée de la nuit où une première équipe fait la connaissance des lieux. Le site de l'impact est à 30mn de marche dans la boue profonde. Il ressemble à un ring où se serait battu un troupeau d'éléphants. Au milieu, un cratère est là, calme et muet. Toutes les questions qui lui sont posées, hélas, sont sans réponses. Le petit vent qui souffle par là, agite l'eau stagnante gris pétrole. Trois semaines après le crash, un silence de cimetière caractérise les lieux. Sur près d'un hectare de périmètre, seuls des morceaux de ferraille, des habits, des gilets de sauvetage, des gants, des cache-nez, des bâtons, etc. signalent une présence humaine. Mais une présence humaine inanimée. Au moindre pas, un concert de mouches rappelle à la conscience du visiteur que le lieu est affreux, nauséabond. Elles chantent à leur manière le requiem pour les 114 personnes tuées lors de cette inoubliable catastrophe aérienne.
Malgré cela, des cleptomanes ont réussi à s'y introduire et à pratiquer leur sport favori. Une vingtaine de jeunes gens pris sur le fait, avaient été placés en garde-à-vue dans la cellule de la brigade de gendarmerie de Nylon. Mais une grande majorité a pu échapper au dispositif sécuritaire qu'assuraient la police et la gendarmerie en empruntant les voies de contournement dans la forêt. L'un d'eux, un jeune garçon de 25 ans, y a même trouvé la mort, par noyade. Cela n'a pas refroidi les ardeurs des autres jeunes des localités environnantes qui se sont lancés à la recherche des billets étrangers, en tournant, retournant et fouillant des restes de corps des victimes. Exportant la feraille de l'avion
Depuis la découverte macabre de l'épave du Boeing 737-800 de Kenya Airways et des restes des occupants tués dans le crash, les nuits sont chaudes à Boko. Dans les bars, les heureux croque-morts d'un autre genre font couler la bière à gogo. Par petits groupes, ils ne parlent plus qu'en euros ou en dollars. Comme quoi, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Noé Ndjebet Massoussi Et Mathieu Nathanaël Njog
Le Messager (Douala)
30 Mai 2007