Colombie
L’ex-sénatrice colombienne a été libérée mercredi par l'armée régulière après plus de six années de captivité dans la jungle.
L'otage franco-colombien des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), enlevé le 23 février 2002, a été récupérée par un hélicoptère avec trois Américains et onze militaires, a annoncé le ministre de la Défense Juan Manuel Santos. L'audacieuse opération de sauvetage a été menée par des soldats se faisant passer pour les employés d'une ONG. Elle constitue un coup d'éclat pour le président conservateur Alvaro Uribe, critiqué à maintes reprises pour son intransigeance envers les Farc. Dans sa première déclaration publique en tant qu'ex-otage, sur les ondes de radio Caracol, Ingrid Betancourt a remercié Dieu et les soldats colombiens et espéré voir dans sa libération un "signe de paix" pour la Colombie.
L'ancienne candidate écologiste à l'élection présidentielle colombienne de 2002 est apparue ensuite sur la base aérienne de Catam, près de Bogota, rayonnante et apparemment en bonne santé. Elle y a été accueillie par sa mère, Yolanda Pulecio. Les deux enfants de la sénatrice, Mélanie et Lorenzo Delloye, ont quitté Paris dans la soirée à bord d'un avion affrété par la France pour rejoindre leur mère, en compagnie du ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner.
22 minutes et 13 secondes
Betancourt n'avait plus donné signe de vie depuis une vidéo diffusée par la rébellion le 30 novembre 2007, où elle apparaissait amaigrie et affaiblie dans un camp de la jungle. Elle a raconté comment elle avait elle-même été dupée par les militaires en pénétrant, menottée, dans l'hélicoptère. Ce n'est qu'ensuite, à bord de l'appareil, qu'elle a vu ses ravisseurs désarmés et entendu un officier lui annoncer: "Vous êtes libre."
L'opération, de l'atterrissage de l'hélicoptère à la neutralisation des deux guérilleros qui étaient à bord, a duré 22 minutes et 13 secondes, a déclaré le général Freddy Padilla, chef des forces armées colombiennes. Les deux rebelles ont été placés en détention. Le ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, a expliqué que les renseignements militaires avaient infiltré le mouvement de guérilla dans la jungle de la province de Guaviare (sud). Des soldats se sont présentés comme les membres d'un groupe humanitaire chargé de convoyer les otages par hélicoptère vers un autre camp pour y rencontrer le nouveau chef des Farc Alfonso Cano.
Le président Uribe a salué une opération "comparable aux plus grands moments de l'histoire humaine mais sans effusion de sang et sans aucun coup de feu". Avant la libération d'Ingrid Betancourt et des trois Américains, on estimait à une quarantaine le nombre d'otages "importants" détenus par les Farc. Dans son allocution télévisée, avec Ingrid Betancourt à ses côtés, Uribe a rappelé sa détermination à tout faire pour libérer les autres otages. Les trois otages américains - Marc Gonsalves, Keith Stansell et Thomas Howes - employés par le groupe de défense Northrop Grumman, avaient été capturés en 2003 après la chute de leur avion dans la jungle lors d'une opération anti-stupéfiants.
Ils ont atterri dans la nuit à San Antonio, au Texas.
Le président américain George Bush, dont le pays fournit une aide financière et logistique importante à son allié colombien, a téléphoné et rendu hommage à Uribe, un "dirigeant fort".
A Paris, Nicolas Sarkozy, qui avait fait de la libération de Betancourt une priorité de sa présidence, a remercié le président colombien, entouré par les enfants de l'ex-otage et sa soeur Astrid. "Aujourd'hui s'achève un calvaire de plus de six années. Ingrid est en bonne santé", a déclaré le président français, saluant une "opération extrêmement brillante, très intelligente" de l'armée colombienne.
Chavez Félicite Uribe
Ingrid Betancourt, qui est âgée de 46 ans, était devenue le symbole de la souffrance des otages des Forces armées révolutionnaires de Colombie, la mobilisation de ses proches ainsi que sa double nationalité franco-colombienne ayant contribué à médiatiser sa lutte sur le plan international. Sa libération a été accueillie unanimement par un grand soulagement en France, où des mairies affichaient depuis des mois son portrait sur leur fronton. Après avoir fait en espagnol le récit de sa libération, Ingrid Betancourt a adressé un message en français en remerciant son deuxième pays de l'avoir "accompagnée toutes ces années". "Je vais très vite être avec vous, je rêve d'être en France", a-t-elle ajouté.
Les Farc, qui ont perdu en mars leur chef Manuel Marulanda et leur numéro deux Raul Reyes, subissent à nouveau un sérieux revers. Les présidents du Chili, du Brésil et du Pérou ont présenté l'opération de la Colombie comme un progrès pour la paix et la démocratie. Le président socialiste vénézuélien Hugo Chavez, aux antipodes d'Uribe sur l'échiquier politique, a téléphoné au président colombien pour le féliciter, a annoncé la télévision de Caracas. Chavez avait obtenu la libération de plusieurs otages des Farc en début d'année. Il avait appelé le mois dernier les chefs de la guérilla à libérer les otages sans conditions. Les Farc réclamaient que la Colombie retire ses troupes d'une vaste zone dans la jungle pour faciliter les négociations. Uribe, dont le père a été tué dans une tentative d'enlèvement des Farc, a refusé d'accepter, offrant simplement la création d'une zone démilitarisée plus réduite surveillée par des observateurs internationaux.
Si la libération de Betancourt affaiblit la position des Farc déjà amoindrie par les revers militaires et les défections, les rebelles détiennent encore de nombreux otages, évalués à plusieurs centaines. Le plus vieux mouvement rebelle d'Amérique du Sud, né dans les années 1960 des luttes des paysans contre les grands propriétaires terriens, ne compterait plus que 9.000 combattants contre 17.000 auparavant. Les enlèvements constituent aujourd'hui avec le trafic de cocaïne l'une de ses sources de financement. Pour l'analyste Michael Shifter, du Dialogue interaméricain, un centre de réflexion de Washington, "le gouvernement colombien a profité de la faiblesse et du désordre au sein des Farc pour mener à bien sa mission".
"C'était un énorme pari, mais il a fonctionné."
Par Hugh Bronstein
BOGOTA (Reuters)
Version française Jean-Stéphane Brosse